Sur quelques questions concernant le bèlè et l’action de l’AM4

     Depuis quelque temps, des propos, touchant à des questions de fond sur le bèlè et sur les rapports avec les Anciens, circulent sur les réseaux sociaux. Sous une forme plutôt polémique, ils tentent, parfois, de mettre en cause notre association. Cet article a pour but de porter quelques informations et réflexions qui, espérons le, permettront à chacun de se faire une idée plus objective.

                              

                               Le bèlè : uniformité ou unité dans la diversité ?

 

                D’abord, de quoi parle t-on ?

Si on dit que, malgré la diversité des formes et des styles, le bèlè de Martinique présente une unité fondamentale, alors il n’y a pas lieu de mener un débat. Pour sa part, l’AM4 a toujours affirmé, contre la politique coloniale d’assimilation, que notre culture exprime l’existence d’un peuple, distinct de tout autre. En opposition à la stratégie coloniale de folklorisation et de marginalisation, elle a toujours œuvré pour la réorganisation de la culture vivante, manifestation de l’effort de survie et de vie des Noirs et de la nation. 

S’il s’agit, au contraire, sous prétexte de l’unicité du bèlè, de nier la diversité régionale de l’expression bèlè, de minorer l’expérience de certaines régions, d’imposer une des formes existantes comme seule référence et seul objet de réflexion, alors il y a effectivement le risque de nourrir la politique coloniale de division.

 

                Quels sont les faits, constatables par tous ?

On peut observer, de manière vivante, mais aussi à travers nombre de documents (CD, émissions radios et TV…), trois manières différentes de pratiquer le bèlè. Il y a la manière samaritaine, la plus diffusée et aujourd’hui la plus pratiquée. Elle se distingue par l’utilisation systématique de  la formation quadrille et d’un tambour. Il y a la manière de Basse-Pointe où les formations en lignes et en cercle prédominent, et où la formation quadrille, lorsqu’elle est utilisée, fonctionne différemment qu’à Sainte-Marie. Et puis, il y a la manière pratiquée dans certaines communes du Sud-Caraïbe (Anses d’Arlet, mais aussi Trois-Ilets et Diamant) où les danses se pratiquent en cercle et en lignes, avec deux ou trois tambours, avec tibwa (Trois-Ilets) mais le plus souvent sans tibwa (Anses d’Arlet, Diamant).

 

                Peut-on parler de bèlè pour les formes régionales autres que les formes samaritaines ?

La forme de bèlè existant dans certaines communes du Sud-Caraïbe s’inscrit dans une longue tradition portée par une communauté de nombreux Anciens qui témoignent de leur filiation avec les générations qui les ont précédés (voir, par exemple, l’émission Select tango de RFO en 1993). Ce n’est pas seulement « Madanm-lan, Man ESPÉLIZÀN » qui nomme cela  « bèlè ».  Et il s’agit encore moins d’« une trouvaille de l’AM4 ». Notons d’ailleurs que le premier enregistrement musical de cette forme de bèlè a été réalisé par le CMAC en 1988 (cf Anthologie de la musique antillaise, Les rythmes). Nico GERNET et Jean-Claude LAMORANDIERE interprètent bèlè et gran bèlè, conseillé par Gustave LEBEL, Grand Ancien des Anses d’Arlet.

Cette forme de bèlè est en unité fondamentale avec les autres formes de bèlè à travers un socle gestuel : balansé, nika, belsiyé, bodzè, glisé, dékatjé…, et un répertoire musical commun : mêmes kout tanbou tangéwoulman (cf Tradition danmyé-kalennda bèlè tome 1 et 2, AM4, 2012 et 2014). Maintenant l’orchestration est différente, les chants, les kanman, les attaques du sol et les chorégraphies aussi. Et puis, il y a quelques pas spécifiques.

On peut dire la même chose de la forme du bèlè à Basse-Pointe : des fondamentaux communs (socle gestuel et musical), des différences chorégraphiques, d’attaque du sol, d’accents, quelques pas spécifiques.

NB : L’unité dans la diversité ne concerne pas seulement le bèlè. Tout en présentant les mêmes fondamentaux, les pratiques de travail présentent aussi une grande diversité régionale. Ainsi on a lafouy tè et plasman kay dans le Nord-Atlantique, fouyé tè et leskap  dans le Sud-Caraïbe, lasotè dans le Nord-Caraïbe, bouraj tè au Morne-Rouge, planté diri au Gros-Morne… Tout en repérant les mêmes fondamentaux, on constate qu’i existe des nuances régionales notables entre la musique danmyé du Nord et du Sud.  D’autres danses présentent aussi des formes régionales diverses (Bésé bakannigwékalennda…)

 

                La question qui vient à l’esprit est celle-ci : où se trouve le problème ?

 Ces nuances, voire différences, ne constituent-elles pas plutôt une richesse à verser dans le trésor commun de l’identité martiniquaise ? A notre avis, c’est une erreur de confondre l’identité martiniquaise avec celle d’une seule région, aussi prestigieuse soit-elle. Et il y a danger à vouloir la mutiler et l’enfermer dans l’expression d’une seule région.

Vis-à-vis des différences, dans toutes les régions, selon les personnes, il existe deux tendances. Une tendance à observer, accueillir, partager. Par exemple, Madame Espélisane SAINTE-ROSE a témoigné à plusieurs reprises de ce que TI ÉMILE lui a dit : « pa janmen kité sa zot ka fè a » ; le même Ti Emile a contribué à animer la swaré bèlè qu’elle avait organisée à la fin des années 1980 (avec les expressions du Sud et du Nord) ; et, au début des années 1980, il a organisé  un grand tournoi danmyé « épi majò Linò é majò Lisid ». Il y a aussi une tendance à « se défendre », à rejeter, à entrer en rivalité. Mais alors, face à la politique culturelle coloniale, que doivent faire les militants sincères : attiser les rivalités et le chauvinisme régional ou/et communal, ou bien encourager, par et dans le respect de la diversité, la reconnaissance et l’unité de toutes les expériences de résistance culturelle du peuple martiniquais ?

 

            Quelle démarche pour approcher la connaissance du bèlè ?

 

                Sur les rapports avec les Anciens

« Ti Emile et Ti Raoul disent tous deux la même chose et nous osons les contredire … Remets-tu en doute ce que des monuments comme Ti Emile ou Ti Raoul disent ? ». Ces propos amènent une question : est-il permis d’interroger ce que dit tel ou tel Ancien ou tel ou tel groupe d’Anciens ? Nous pensons que oui. Toute autre attitude relève de l’idolâtrie ou du dogmatisme (le fait d’adhérer à des croyances ou propos sans avoir besoin de démonstration, sans esprit critique) et s’écarte d’une démarche scientifique.

Il y a une différence entre mémoires et histoire. Les mémoires sont sélectives et souvent subjectives (parfois concurrentes). Il faut donc les croiser entre elles et les croiser avec d’autres sources. Elles constituent un des matériaux de l’Histoire qui, par sa démarche, tente de construire une interprétation objective du passé. Certaines questions sont donc essentielles : qui dit quoi, quand, où, à qui, pourquoi ?

A noter quand même que certains qui ne comprennent pas qu’on puisse avoir une approche précautionneuse de ce que dit tel Ancien se sont déjà retrouvés en train de contester obstinément des éléments transmis par de Grands Anciens (cf stage du 01/08/2010 de la COORDINATION avec Félix CASERUS).

L’AM4 a consulté et consulte beaucoup d’Anciens, de toutes les régions de la Martinique (cf pages de remerciements des trois tomes du livre Tradition danmyé-kalennda-bèlè), avec lesquels nous avons eu et avons de bons rapports. Nous avons toujours pensé que, au-delà de tel ou tel Ancien, c’est la Communauté des Anciens, prise dans son ensemble, qui constitue la véritable et incontournable institution ; que cela nous impose une démarche, la seule qui nous paraisse respectueuse de cette communauté : recueillir, croiser, interroger, analyser, et diffuser les points éclaircis mais aussi les interrogations.

Partant de cela, pourquoi la parole des Anciens de Sainte-Marie serait plus autorisée et plus crédible que celle des Anciens des autres régions de la Martinique ? La parole de tous ces Anciens du Sud (Simon HAUSTAN des Trois-Ilets, Brigitte ODINA, Silormon PRIAM, Lucien LAMEYTRIE, Rémy ROULA, Félicien SORBON, Félix DAMAZE des Anses d’Arlet, Julienne ATI du Diamant…), et de Basse-Pointe (Bertin REGINA, Julien SABAN, Romule VETRAL…), pratiquants de bèlè et d’autres expressions, ayant entre 60 et 95 ans, seraient donc, par décret, discréditée d’office ? Pourquoi certains anciens référents de ces régions seraient-ils moins « monument » que ceux de Sainte-Marie ?

On entend bien que Man SAINT-ANGE et Clémence BONIFACE étaient « filles d’esclaves ». Mais sont-elles les seules ? Beaucoup des grands-parents de ces Anciens des autres régions ont connu l’esclavage. Et les gens de toutes les régions ont participé à la lutte contre l’esclavage, et au marronnage, sous des formes diverses.

Pour sa part, l’AM4 a choisi de mettre les faits, recueillis partout en Martinique, à la disposition de tous, afin de favoriser la réflexion. Aussi, nous avons diffusé largement, les pratiques musicales de ces Anciens, réalisées par eux-mêmes (cf Vol 1, 2, 3, 5, 6 de Chants et musiques négro-martiniquais ; organisation de « Fet mizik épi dans tanbou Matinik » en 1992 ; participation des Anciens aux swaré DKB de l’association). Nous avons cité largement ce que nous les avons vu faire et entendu dire (cf livre « Tradition danmyé-kalennda-bèlè de Martinique », tomes 1, 2, 3).

 

                L’intérêt d’autres sources

« Dans le dernier Cahier du Patrimoine : « Aux sources de la musique martiniquaise » (N 30), la question du bèlè est traitée avec légèreté, ignorance, car les acteurs du bèlè n’ont pas été consultés… Tout est faux. ». Cela nous paraît exagéré de parler ainsi. Il y a probablement des choses discutables. Mais enfin, il y a des témoignages de chroniqueurs de différentes époques qu’on met à la disposition de tous (écrits de LABAT, DU TERTRE, Lafcadio HEARN, GRANIER DE CASSAGNAC), des acteurs aussi s’expriment dans l’article écrit par Edmond MONDESIR (TI ÉMILE, TI RAOUL, Félix CEBAREC, Apollon VALLADE, Denis MATCHIONA, Ciméline RANGON, Edmond MONDESIR), des sources sont indiquées. On ne peut balayer cela d’un revers de main et dire que  « Tout est faux ». Et que veut dire « Transmission pure » ? Outre qu’il n’a jamais existé et qu’il n’existe aucune transmission « pure », on semble ignorer que ce mot est à l’origine de beaucoup de malheurs vécus par l’humanité. Nous avons bien peur de nous trouver là dans le cadre d’une pensée binaire, somme toute très occidentale,  qui exclut, qui opère par le « c’est soit tout, soit rien », « soit c’est noir, soit c’est blanc », « soit bien, soit mal », qui ignore les nuances et la démarche ternaire et  inclusive  de la culture bèlè et de la tradition africaine.

 

                Quelle interprétation faire de certains propos concernant les origines du bèlè ?

TI ÉMILE (Cahiers du Patrimoine) et TI RAOUL (Cahiers du Patrimoine et interview vidéo) soulignent le rôle des CEBAREC pour comprendre les origines (TI RAOUL) et le développement (TI ÉMILE) du bèlè à Sainte-Marie. D’autres Anciens portent aussi témoignage de cela. C’est un fait et nul ne le conteste.  Mais de quoi parlent-ils ? De ce qu’ils connaissent, c'est-à-dire de la forme samaritaine du bèlè et de la période qu’englobe leur mémoire ! D’ailleurs TI RAOUL marque lui-même les limites de sa mémoire pour une connaissance globale du bèlè lorsqu’il dit : « Man pé pa di’w la sé moun-tala pran sa, men sé yo ki mennen bèlè Sentmari » (cf vidéo de l’interview faite par Mano LOUTOBY, Hommage à Ti Raoul GRIVALLIERS, émission Le bon exemple du 16/03/2000). L’exposition sur les Anciens à la MAISON DU BÈLÈ nous apprend aussi  que le CEBAREC le plus ancien connu, Boniface CEBAREC, vient de Saint-Pierre et s’installe à Pérou.

Bertin REGINA, Grand Ancien, « monument » du bèlè de la région de Basse-Pointe, dit ceci : « Bèlè nou sé bèlè 1700, 1800, Sentmari sé bèlè 1900 » (cf pochette Chants et musiques négro-martiniquais, AM4, vol 6).

Certains  Grands Anciens (Espélizane SAINTE-ROSE, Lucien LAMEYTRIE), « monuments » du bèlè de la région des Anses d’Arlet, après avoir vu, pour la première fois, une swaré bèlè samaritaine, disent ceci : « sé moun-lan ka kriyé sa bèlè, men sé kalennda ki la, sé dansé mayaka ». D’autre part, les Anciens de cette région n’utilisent pas les kout tanbou grajé dans le bèlè, ils considèrent que c’est du danmyé et que cela ne doit pas être mélangé au bèlè. (Extraits d’entretiens de terrain). 

Quand TI RAOUL dit que la forme de bèlè qu’on trouve dans certaines communes du sud serait du « lancier ». Il commet une erreur. Le lancier est une forme de quadrille ; les danses bèlè du Sud ne connaissent pas la quadrille ! A la limite, la forme samaritaine (en quadrille) en serait plus proche. Et qui connaît les mélodies qui accompagnent le lancier ne peut absolument pas les confondre avec celles des chants bèlè qu’on trouve dans le Sud.

Dans leurs formes dansées (et parfois musicales), les pratiques de Basse-Pointe et du Sud-Caraïbe ont des liens importants entre elles et avec les formes utilisées dans la Caraïbe. En effet, le bèlè existe aussi à Sainte-Lucie, à la Dominique, à Trinidad & Tobago, sous d’autres formes (cf vidéos de Marin Village et des Festivals culturels de la Ville de Fort-de-France). Le rythme bèlè, tel que joué dans certaines communes du Sud, a des équivalents, entre autres, en Guadeloupe (rythme Woulé), et jusqu’à Cuba, dans la communauté haïtiano-cubaine (Woulé, appelé encore Woulé Matinik). La forme samaritaine qu’on voudrait imposer comme forme unique est, en fait, une des formes, voire une particularité en Martinique et dans la Caraïbe.

Les propos de TI ÉMILE, « bèlè ni an sel fason », « bèlè ni uit fidjibèlè pa ni korégrafi », sont aussi à relativiser. TI ÉMILE parle de la forme samaritaine du bèlè. Mais la mémoire de cette région ne se souvient pas que la forme quadrille est déjà, historiquement, une mise en chorégraphie, de formes plus anciennes. Seule l’histoire peut nous l’apprendre (cf travaux de Dominique CYRILLE sur la quadrille). Ce qu’il faut plutôt comprendre, c’est que TI ÉMILE dit ici, fort justement, que le bèlè traditionnel (sous la forme samaritaine qu’il pratique) ne doit pas être confondu avec les chorégraphies montées par les groupes folkloriques, ni non plus avec celles qu’élaborent des associations (AM4, KANNIGWÉ… ) dans le cadre de spectacles à thèmes.  Notons aussi que TI EMILE a  proposé des chorégraphies nouvelles (du bénézwel, du kannigwé, du mabélo) qui ont  été adoptées par le monde bèlè et font désormais partie de la tradition.

Prendre ces éléments (et bien d’autres) en compte quand on discute des origines du bèlè serait donc le fait des « opportunistes » ? L’AM4, pour sa part, y voit des pistes importantes de recherche et de réflexion, la  question des origines n’étant ni simple ni à simplifier.

 

                               Sur nos rapports avec Ti Raoul

 

                Des rapports complexes et qui n’ont rien d’exceptionnel

Dans l’hommage qu’elle lui rend le 20 décembre 2017, l’AM4 dit ceci : « Ti Raoul avait un caractère particulier qui, parfois, pouvait compliquer les relations. Nous-mêmes, comme d'autres, avons connu des moments de tension avec lui, suite à des désaccords de fond, de méthode et d'attitude. Cependant, tout le monde s'incline, avec respect, devant l'immense talent de Ti Raoul. L'AM4 a beaucoup appris de lui, non seulement dans le domaine du chant, mais aussi dans tout ce qui a trait à la culture Danmyé-kalennda-bèlè. Nous lui en sommes profondément  reconnaissants. » L’essentiel est dit ! Et on pourrait s’arrêter là ! 

En effet, par égard pour TI RAOUL et par souci d’unité du monde bèlè, nous avons toujours évité d’alimenter la polémique avec lui et avions choisi, à l’époque, de ne pas répondre. Cependant, au vu des récentes publications qui sont intervenues juste après son enterrement et dans le contexte de l’émotion créée par son décès, il est utile et il est temps de porter quelques précisions.

De 1981 à 1989, nous avons connu une période de relations très étroites et très riches avec TI RAOUL. Malheureusement, nous avons dû, face à certaines attitudes, adopter une résolution le 14/10/1989 suspendant nos relations avec lui. Après une période de polémique intense de sa part durant les années 1990 et début 2000, les choses se sont apaisées (collaboration au Festival de Fort-de-France en 2010 lors de l’hommage aux Grands Anciens, discussions conviviales, appels à tanbouyé). Et c’est tant mieux !

Les difficultés dans nos relations avec TI RAOUL n’ont rien d’exceptionnel. Beaucoup d’éléments témoignent, en différentes périodes, de la complexité de ses rapports (se traduisant parfois par de fortes tensions) avec d’autres artistes, d’autres associations, et aussi avec sa famille. Notons, entre autres choses,  les chants « Aimé Césaire, maré médò » (non enregistré), « Man ka sonjé Éjèn Mona », « Béliya Dalila », « Man Fransiné », les péripéties qui ont suivi l’enregistrement du chant « 22 Mé nou kriyé woulo » ainsi que celui du disque Lariviè Léza

 

                                Des rapports de solidarité active

Dans la vidéo diffusée, TI RAOUl dit : « Sé moun-tala té ka monté lakay-mwen pou pozé mwen késion asou bèlè ». Bien sûr que nous avons fait cela, et c’est tout à notre honneur ! Mais nous ne sommes pas montés chez lui seulement pour cela ! Nous sommes montés aussi pour participer activement aux swaré qu’il organisait (et nous avons constitué souvent le principal, et parfois presque le seul, contingent de danseurs). Nous sommes allés vers lui, à sa demande, pour lui donner un koudmen lors de certaines manifestations sous contrat (par exemple 22 Mai au forum Frantz Fanon, Marin Village, podiums de fêtes patronales). Nous lui avons porté un soutien actif lors du concours organisé pour faire un hymne au 22 Mai (apports en documentation et à certaines paroles du chant, participation aux entraînements, répondè). Nous avons été là aussi lors de la tentative d’enregistrement du disque « 22 Mé » avec EULOGA, pour l’enregistrement de certaines de ses cassettes, pour des déclarations à la SACEM. Pendant toute une année, trois de nos camarades (Josette CONTROLE, Jean-Philippe PINCEAU-CLUSEL, Georges DRU) sont montés, une fois par semaine chez lui, à Chertine, pour se rendre avec lui à la Bamboula (un restaurant du Morne des Esses) et contribuer (comme  danseurs et tanbouyé) aux entraînements de son groupe qui s’y déroulaient. Durant cette période, Georges DRU l’accompagne au tambour. C’est, en effet, l’époque où les relations de TI RAOUl avec les tanbouyé de Sainte-Marie ne sont pas au beau fixe et où il n’a donc pas de tanbouyé. Nous avons également manifesté notre solidarité dans divers aspects de sa vie quotidienne. Notons aussi que, quelle que soit la période considérée des relations, nous nous sommes toujours fait un devoir de souligner son talent et sa contribution à la culture martiniquaise, de diffuser sa musique et ce qu’il nous a appris (cf l’émission Fondas et différentes interventions en diverses occasions). Ces quelques éléments pour dire que la relation avec TI RAOUL n’était pas à sens unique, elle reposait sur l’aide réciproque.

 

                  L’AM4 a-t-elle jamais prétendu donner l’autorisation d’organiser des swaré bèlè ?

Dans la même vidéo, c’est ce que dit TI RAOUL: « Sé mésié déklaré sé yo ka ba’w otorizasion pou fè an bèlè ». Seul le contexte peut nous permettre de comprendre pourquoi il dit une chose aussi injuste. C’est l’époque où L’AM4 prend part activement au processus d’organisation de COORDINATION LAWONN BÈLÈ. La Coordination publie, entre autres choses, un calendrier des swaré bèlè centrales, calendrier négocié entre toutes les composantes de la Coordination. C’est cela que TI RAOUL interprète comme une tentative de contrôle des swaré qu’il attribue à l’AM4. L’AM4 n’a pas le pouvoir d’autoriser ou non des swaré. Elle ne l’a jamais eu et ne l’a jamais souhaité. Par contre, s’il y a une association qui contribue, par la présence régulière et active de ses délégations, à faire vivre les swaré bèlè et les moman bèlè organisés par d’autres acteurs du monde bèlè, c’est bien l’AM4. De même, l’AM4 a toujours milité pour une totale égalité entre toutes les associations bèlè, qu’elles soient grandes ou petites en nombre, jeunes ou anciennes. Nous avons toujours souligné également, dans nos écrits et interventions, la contribution de chacune et chacun. Toutes les personnes de bonne foi peuvent en témoigner.

On voit bien que l’auditeur qui intervient dans l’émission « Alabowdaj» le jeudi 11 janvier 2018  pour demander « dépi ki tan l’AM4 gran òganizatè pou sé li ka ba moun otorizasion fè swaré… » ne sait pas et ne cherche pas à savoir. Il répète ce qu’il a entendu.

 

                Dans la vidéo, TI RAOUL aborde la question importante de la création.

Quand on parle de création et de « composition » dans le monde bèlè, on parle souvent, en réalité, de textes nouveaux. Cependant, les airs sont souvent des airs déjà existants dans la tradition qui sont repris, laissés tel quel ou légèrement transformés ; ou alors il s’agit d’airs empruntés à d’autres genres (biguine, chant vey, carnaval…) ou à des traditions étrangères (de Guyane, de Sainte-Lucie, de Guadeloupe notamment). Ainsi, on constate que la plupart des airs des chants du répertoire DKB ont été créés ou transmis par les chanteurs de l’entre-deux-guerres ou d’avant (Clémence BONIFACE, Stéphane SEBAREC, ANDRÉA…). Après cette période, les quelques airs, peut-être nouveaux, qu’on pourrait repérer, ont été créés plutôt par imprégnation que par maîtrise. Cette situation n’est pas propre à la Martinique, elle semble être typique des musiques populaires dites « traditionnelles ». Mais si on veut que nos musiques racines puissent aller de l’avant et s’affirmer comme noyau de la musique martiniquaise, il faut se pencher sur cette question. Aujourd’hui, des musiciens cherchent à dégager les principes de création des airs (cf par exemple, les travaux de BÈLÈNOU, WELTO, Emmanuel MARIE-MADELEINE, Renaud SAE…).

Par contre, pour ce qui est de la création de textes, elle  s’est largement développée (cf entre autres, les CD de Berthé GRIVALLIERS, Benoit RASTOCLE Edmond MONDESIR, Christophe FRONTIER, Constant VÉLASQUES, Victor TREFFRE, AM4…) avec, bien sûr, la possibilité qu’on aime ou qu’on n’aime pas les productions réalisées. Aujourd’hui, il s’agit surtout d’améliorer la création de textes par une bonne maîtrise de la langue créole et du fonctionnement d’un chant DKB.

 

                Enfin, un point sur le chant « Ou loupé kou-a » 

Il s’agit d’une adaptation par TI RAOUL d’un chant guadeloupéen composé par TI CÉLESTE « Doublé sé kou-a ». Le chant est, lui aussi, à replacer dans un contexte. L’AM4 a produit en 1990 et en 1991 les volumes  1 et 2 de la collection Chants et musiques négro-martiniquais, consacré aux expressions du Sud. Il y a eu également l’émission Sélect Tango de RFO en 1993 dans laquelle TI RAOUL, invité, n’a pas participé. Le président de l’AM4 de l’époque (Georges DRU) y est consultant. Les expressions du Sud sont mises à l’honneur (au même titre que d’autres expressions). Il n’y a plus de contact entre l’AM4 et TI RAOUL depuis 1989 (cf résolution AM4 suspendant les relations avec lui).

Dans ce chant, TI RAOUL marque son opposition au mouvement des écoles (structuré autour de la recherche, la formation, la diffusion) qu’il vit, malheureusement, comme une concurrence, « zot sé dé pwofésè ».  Pour ce faire, il s’en prend nommément au président AM4 de l’époque, ce qui, somme toute, est classique dans les compositions (« foda ou touvé milan-an »). Celui-ci, de son côté, n’a jamais vécu cela comme une affaire personnelle mais comme une des nombreuses péripéties qui jalonnent le mouvement de renouveau du bèlè. Aujourd’hui, c’est devenu une chanson du répertoire qui peut être reprise par qui le veut. Il n’y a rien à y redire. Maintenant, nombre de personnes constatent aussi que, dans certaines situations particulières, il arrive que l’indélicatesse soit au rendez-vous. Mais on ne peut éviter cela.

 

                Ainsi, l’effort de connaissance demande humilité, souci d’objectivité, esprit de coopération. Nous souhaitons vraiment que tous les militants se saisissent de ces valeurs pour faire avancer la cause du danmyé-kalennda-bèlè et de la Martinique.

 

Martinique

Le 15 février 2018

Le Comité Directeur de l’AM4